Curriculum vitae
Ernst Wahle est l’un des préhistoriens allemands les plus connus et importants du xxe siècle. Il doit sa renommée internationale à l’ouvrage Zur ethnischen Deutung frühgeschichtlicher Kulturprovinzen (« De la signification ethnique des provinces culturelles protohistoriques »), publié en 1941, dans lequel il démontre pour la première fois que la transformation de la structure de peuplement n’a pas de répercussion sur les vestiges matériels et, inversement, que la transformation des vestiges matériels n’induit pas forcément un changement des formes d’habitat. Ce résultat est d’une importance considérable, car il démontre que l’identification – courante dans le domaine de la recherche européenne sur la préhistoire – des cultures archéologiques avec certains peuples s’accompagne de problèmes méthodologiques importants.
Ernst Wahle naît le 25 mai 1889 à Magdeburg et a vécu son enfance et adolescence dans la province prussienne. Encore élève, il entreprend déjà de premières fouilles archéologiques. C’est pour cette raison qu’il souhaite faire de la préhistoire son métier – une décision qui n’a rien d’évident lorsqu’on sait à quel point les possibilités d’études étaient restreintes au début du xxe siècle. Après un bref séjour d’études à Halle, il part en 1908 à Berlin auprès de Gustaf Kossinna (1858-1931). Bien que très contesté, pour des raisons personnelles et scientifiques, Kossinna est l’une des figures les plus marquantes de l’époque pour la recherche en préhistoire de l’Europe. L’étude de Wahle citée ci-dessus révèle une prise de distance critique face aux thèses de son ancien professeur. Wahle change une nouvelle fois de lieu d’études et rejoint Heidelberg, où il reste jusqu’à la fin de sa vie. Il y accède au grade de docteur en 1913 sous la direction du géographe Alfred Hettner (1859-1941), en présentant une thèse qui met en relation les aspects archéologiques et ceux relevant de la géographie de l’habitat. Après son envoi au front de l’Ouest pendant la Première Guerre mondiale, il rentre à Heidelberg où il consacre son travail aux collections municipales avant d’exercer, à partir de 1922, en tant que conservateur régional de l’archéologie et en qualité de maître de conférences à l’université.
En 1924, il obtient le titre de professeur, qui aboutit seulement en 1937 à un poste fixe de professeur des universités. Il enseigne à l’université, où il entreprend la création de l’Institut de pré- et de protohistoire. Il meurt le 21 janvier 1981 à Heidelberg.
Tout comme de nombreux autres préhistoriens allemands, Wahle devient membre de la NSDAP en 1937 – vraisemblablement moins par conviction que par opportunisme. La nature réelle des motifs qui l’ont poussé à franchir le pas n’est pas claire ; on suppose toutefois un lien avec sa situation professionnelle, pendant longtemps incertaine. Comme nombre de ses collègues, il escompte un soutien de la part des nazis en faveur de sa discipline. Ses conceptions intellectuelles l’opposent cependant rapidement au régime du Troisième Reich. La thèse, selon laquelle les origines des Indo-Européens seraient fixées à l’est, suscite tout particulièrement l’inimitié des idéologues nazis qui y voient – à raison – une attaque de l’idée de « race nordique ».
Parmi les préhistoriens allemands, Wahle est l’un des premiers à défendre une soi-disante « archéologie du paysage », c’est-à-dire la prise en compte de tous les facteurs environnementaux dans l’histoire du peuplement préhistorique et l’interaction entre habitation et milieu naturel. Au cours de sa vie, Wahle s’est opposé au courant de recherche qui s’était fixé pour tâche l’établissement d’une typologie et d’une chronologie des vestiges matériels. Tandis que ce positionnement n’est pas bien accueilli parmi ses collègues allemands, il défend de son côté l’étude de la préhistoire en tant que science historique, comprise comme histoire culturelle autant que politique. L’histoire de la discipline constitue l’autre axe important de ses recherches, en grande partie orientées vers la réception de la préhistoire depuis le xvie siècle et son rôle dans la formation d’une conscience nationale, notamment parmi les nations « tardives ».
Après sa mort, le fonds Wahle est transmis à l’Institut de pré- et de protohistoire de l’université de Heidelberg, puis, en 1984, à la bibliothèque universitaire. Le fonds présente, outre le considérable matériel de travail sur les différents thèmes abordés par Wahle, une partie de sa correspondance professionnelle et scientifique. Celle-ci reflète l’histoire de la discipline préhistorique en Allemagne dans la première partie du xxe siècle, à laquelle assista et participa activement Wahle. Il correspondait non seulement avec la quasi-totalité de ses collègues allemands mais aussi avec de nombreux historiens européens de la préhistoire tels que Johannes Brøndstedt, Walter U. Guyan, Christopher Hawkes, Rudolf Laur-Belart, Oswald Menghin, Sophus Müller ou Otto Rydbeck. Les écrits posthumes ont été entièrement décrits en 2010-2012 et sont à présent accessibles en ligne pour la recherche.
(Christian Gildhoff, traduit par Myriam Olivier)